Éditions GOPE, 228 pages, 13 x 19 cm, 18 €, ISBN 979-10-91328-21-0

samedi 11 novembre 2017

L’histoire oscille entre onirisme, imaginaire thaï et description d’une réalité sociale crue

Article original sur le site de Pluton Magazine


Publié en 1997, Fille de sang est le premier roman d’une jeune fille thaï de vingt ans, Arounwadi, qui est devenue depuis une écrivaine reconnue. La puissance d’évocation de ce texte, aujourd’hui traduit en français, a révolutionné la littérature thaïlandaise.
Bienvenue dans l’envers du décor. Nous sommes loin de la Thaïlande souriante, de ses temples fascinants et de ses paysages de rêves. Le premier roman de  l’écrivaine Arounwadi, publié en 1997 et traduit en français en 2015 aux éditions Gope, nous plonge dans univers sombre, très sombre. Ecrit quand elle avait vingt ans, le texte est visiblement autobiographique, même si Arounwadi ne l’a jamais revendiqué comme tel.

Le roman se déroule dans des zones rurales de Thaïlande. Ecrit à la première personne, il ne mentionne jamais le nom de la narratrice, jeune fille à la personnalité très tourmentée, ni celui des personnages qui peuplent le roman. Au cœur d’une famille dysfonctionnelle, avec une enfance ballottée et marquée par la violence, une adolescente particulièrement sensible et rebelle est à la recherche éperdue de soi. Jusqu’à la limite de la folie, elle tente désespérément de susciter l’attention et l’affection de ses parents, qui la rejettent ou ne la comprennent pas.

L’histoire oscille entre onirisme, imaginaire thaï et description d’une réalité sociale crue et même impitoyable. L’héroïne éprouve une fascination morbide pour le sang – d’où le titre du livre – et recueille compulsivement son propre sang lors de pratiques de mutilations. Elle en retire une souffrance et une jouissance quasi mystiques, qu’elle décrit dans les moindres détails. La minutie du processus d’autodestruction, raconté par le menu, ferait sans doute les délices d’un psychanalyste ou d’un psychologue clinicien.

Ce conte cruel, premier roman écrit par une femme dans une société largement dominée par les hommes, a surpris à sa publication en 1997. Jusque-là, la littérature thaïlandaise, qui a émergé il y a environ un siècle, n’était jamais allé aussi loin, ni dans la structure narrative ni par l’originalité thématique. Elaboré comme le journal intime d’une adolescente, parfois répétitif, Fille de sang n’en dégage pas moins une formidable puissance d’évocation. Ce livre, émouvant par son authenticité, est également porté par la brillante traduction de Marcel Barang, un spécialiste français de la langue thaï qui a adapté de nombreux ouvrages. Fille de sang est d’ailleurs en lice pour le prix Laure-Bataillon 2016, qui récompense la meilleure œuvre de fiction traduite en français.

Philippe Triay, février 2016
Journaliste, grand reporter à France Ô/Outre-mer 1ère. Auteur de Pour une lecture fanonienne de Césaire (essai, éditions Dagan, avril 2015).


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Pour une approche plus clinique de l’autovampirisme :

La parole est aux blogueurs, -euses

Milk time



« Arrivée à l’adolescence, les ravages de la maltraitance font leur œuvre [...] »

« Intelligente, travaillant bien à l’école, elle n’a pourtant qu’une seule envie, en finir, se foutre en l’air par tous les moyens. »

« Elle ne se rebelle jamais vraiment contre l’autorité parentale. Elle se laisse faire, tout le temps. Le seul moyen qu’elle trouve pour attirer l’attention, c’est se rendre malade ou tenter de se suicider. »


« À mille lieues du surnaturel, de la littérature gothique ou de l’urban fantasy actuelle, ce roman thaïlandais, écrit avec une plume quasi chirurgicale, plonge le lecteur dans la spirale descendante dans laquelle s’enferme peu à peu sa narratrice. La naïveté juvénile de cette dernière, que tous ou presque semblent rejeter, se transforme rapidement en un manque quasi viscéral pour l’affection des siens, manque qu’elle ne parvient à combler qu’à travers sa fascination pour son propre sang, et la douleur qu’elle va s’infliger pour pouvoir observer ce dernier, puis davantage. [...] La plume est lapidaire, sans réelles fioritures. L’ensemble appuie à cet égard l’accélération du maelstrom dans lequel se retrouve la jeune héroïne. La dureté et le dépouillement du style appuient un peu plus l’atmosphère chirurgicale de l’ensemble [...] »


« En effet, Fille de Sang fait partie de ces lectures qui ne vous laissent pas indemnes. On en ressort hébété, changé à tout jamais, le prisme à travers lequel je voyais l’existence s’est terni et s’est taché de gouttes de sang rouille, dont la saveur salée s’est évaporée à force de sécher, réminiscence d’un mal-être insoutenable. Chaque page m’a fait mal, m’infligeait une souffrance supplémentaire. [...] »