Éditions GOPE, 228 pages, 13 x 19 cm, 18 €, ISBN 979-10-91328-21-0

jeudi 3 décembre 2015

Âmes sensibles, s’abstenir !

© Tous droits réservés par Geoff Trotter, 2011


Avis  de  lecteur  1

Ce roman ( autobiographique ? ) […] relate à la première personne l’enfance et l’adolescence d’une jeune femme thaï, sans jamais nommer les personnages (désignés comme « ma mère », « ma sœur », « papa », « mon psychiatre »…) ni les lieux où ils vivent. Les 25 chapitres, tous écrits au présent, font alterner assez régulièrement le récit rétrospectif de l’enfance, depuis la grossesse de la mère, la naissance de la narratrice, les souvenirs de ses jeunes années, et celui des hospitalisations pour tentatives de suicide de la jeune fille.

Peu à peu, cette construction permet de comprendre ce qui relie les cauchemars, les hallucinations, les pratiques autodestructrices de la jeune femme à son enfance, sans jamais tomber dans l’explication. Celle qu’apporte le psychiatre se résume d’ailleurs à quelques pauvres formules, sans commune mesure avec ce qu’a vécu et éprouvé la narratrice.

Ce vécu est celui d’une enfant non désirée, qui a résisté aux diverses tentatives d’avortement de sa mère que son père a refusé de reconnaître, ballottée d’une maison à une autre, d’un « beau-père » à un autre, abandonnée à elle-même, et qui voue en dépit de tous les mauvais traitements un amour désespéré à sa mère et à son père.

C’est aussi le vécu d’une enfance rurale qui n’a rien d’idyllique. Cruauté dans le rapport aux animaux sauvages ou domestiques, qui s’entre-dévorent ou sont dévorés. De longues pages décrivent par le menu la manière de tuer les volailles, les cochons, les buffles, leur agonie, les flots de sang qui font de la maison un abattoir et de l’enfant une spectatrice fascinée et révulsée. Brutalité des hommes à l’égard des femmes, sadisme du père qui élève des oiseaux et oblige sa fille à les nourrir de petits animaux vivants…

L’imbrication continue de la relation minutieuse des faits et de l’expression des sensations et des sentiments éprouvés par l’enfant rendent certaines de ces pages insoutenables. De même que les chapitres où la narratrice plus âgée raconte comment elle s’y prend, à l’hôpital ou chez elle, pour se saigner, recueillir son propre sang, le boire enfin, dans la même confusion des sentiments de fascination, de dégoût et de désir éperdu d’être aimée.

L’emploi continu du présent, la juxtaposition de phrases courtes, l’ellipse fréquente du sujet ( par exemple : « Avant qu’on ne brûle le corps de papa, je me redresse. M’accroche au bord du cercueil. M’avance. Jette un dernier coup d’œil à papa »), la quasi-absence de dialogues et le recours au style indirect, tout cela donne au récit un rythme très rapide, celui d’une hémorragie verbale, d’une parole qui se déverse dans l’urgence, sans recul, même pour des souvenirs lointains que rien n’a pu adoucir, qui brûlent toujours.

On est souvent comme étouffé par ce flot, parfois au bord de la nausée, mais aussi rempli de pitié, stupéfait devant l’acharnement à vivre et à être reconnue de la narratrice, enfin plein d’admiration pour la force de l’écriture. […]



Avis de lecteur 2

Fille de Sang est un roman thaïlandais de la fin des années 1990, récit à la première personne de la descente dans la démence d’une jeune adolescente.
La narratrice, jamais nommée (pas plus qu’aucun personnage), vit avec sa mère qui l’abandonne régulièrement pour tenter sa chance auprès d’hommes instables et violents. Le roman suit l’enfance de la jeune fille, « bâtarde » selon ses termes, baladée de foyer en foyer et toujours maltraitée.

Ce qui pourrait être un roman trash et trop pathétique est en réalité le récit passionnant et troublant de la perte de l’identité de la jeune femme, qui peu à peu devient obsédée par le sang, en particulier le sien. Alors qu’elle grandit dans les fermes où l’on égorge les animaux, elle cherche de la douceur et de l’affection dans un monde pragmatique et cruel d’éleveurs d’oiseaux et de cochons.
Après l’une de ses nombreuses tentatives de suicide, elle découvre la vue de son propre sang dans la perfusion de l’hôpital, et se prend à jouer avec le liquide. Le roman culmine dans une scène terrible où elle se saigne goutte à goutte dans la salle de bain de sa chambre d’hôpital, finissant même par boire son sang, jusqu’à s’en faire vomir, réminiscence écœurée de la joie paysanne de boire le sang chaud des bœufs qu’on abat.

Cette thématique du sang fascine et dégoûte le lecteur autant que la narratrice. L’ivresse du sang et des médicaments lui fait alors jouer avec la réalité, ce qui déséquilibre le rapport que lecteur entretient à la vérité romanesque. Et si les ressorts psychologiques sont évidents (mère étouffante, père absent, etc.) le traitement du sujet, vu à travers le sang, est original et poignant.

[…] la traduction est efficace et sert la lecture.[…]

mercredi 2 décembre 2015

Elle se veut « le buffle de maman »

Article sur le site de Gavroche Thaïlande

C’est le journal d’une petite fille mal aimée (ou qui se sent terriblement mal aimée), au sein d’une famille pauvre dans la campagne thaïlandaise. Le récit est écrit à la première personne. Autour de ce « je » évolue tout un arrière-plan composé d’une foule de personnages – papa, beau-papa, sœur, tantes, etc. – qui tour à tour vont se charger d’héberger, sinon aimer, l’enfant, car le personnage important, « maman », est peu présent.
La vie est difficile pour cette mère qui doit s’en remettre aux hommes ou partir à l’étranger pour assurer sa subsistance.

« Mais où est passée ma mère ? », c’est le refrain lancinant dans la tête de la fillette, et ce mal-être, tandis qu’elle grandit, va se manifester en auto-mutilation.
Elle se saigne pour se soulager, pour qu’on lui accorde de l’importance. Elle emplit des sachets de sang, comme faisait sa maman quand on tuait un buffle ou un cochon, elle se souvient des bassines pleines de liquide rouge et se veut « le buffle de maman ».

Dans sa très grande solitude, à travers ce récit bouleversant et dérangeant, en dépit de tous les cachets avalés et tous les séjours à l’hôpital, la très jeune fille arrive cependant à une libération, par l’école sans doute (elle est très bonne élève), et par l’écriture.

L’auteur, Arounwadi, n’avait pas tout à fait 21 ans quand elle a publié ce premier roman en 1997.
Aujourd’hui, Arounwadi est enseignante et a écrit une douzaine d’ouvrages.

Elle dira de ce premier livre : « Ce roman est basé sur une histoire vraie, mais la réalité n’est pas tout entière dans ce livre. La douleur fait partie de la vie ; elle n’est nullement un divertissement de l’âme ».

M.G.
Gavroche Magazine, N° 253 - Novembre 2015